Chapitre I
La femme n’était qu’un point improbable sur la paroi verticale de la falaise. Sans l’aide de l’expérience ou d’outils, elle progressait maladroitement le long de l’empilement de strates schisteuses à ciel ouvert. Son pourpoint de cuir bien ajusté et son pantalon en toile grossière étaient imprégnés de poussière minérale grise. Comme un insecte, elle avait pris la couleur de la falaise qu’elle escaladait. La sueur avait collé ses cheveux bruns au sommet de son crâne. Des nœuds et des boucles complexes maintenaient la longueur de sa chevelure, mais le vent en avait détaché quelques mèches, les laissant s’emmêler devant ses yeux. Elle frotta son front mince contre la roche grise. Ses mains étaient occupées.
Quelque antique cataclysme avait fendu cette montagne, faisant s’effondrer sa façade verte à son pied dans un grand tas de pierre et de terre. Loin au-dessus de la femme, la montagne était toujours coiffée de terre et de verdure. Mais la femme grimpait sur de la roche schisteuse à vif. Ce matin, elle s’était tenue dans l’entrelacs de broussailles et d’arbustes qui poussaient sur cet ancien éboulement. Elle avait levé les yeux vers la roche noire et lisse pour observer une certaine corniche à plus de trois quarts de la hauteur de la montagne. Elle avait considéré ses chances d’atteindre cette corniche et avait estimé n’en avoir aucune. Puis elle avait commencé son ascension.
Maintenant, sa main gauche était agrippée à une petite aspérité dans le schiste. Elle fit prudemment porter une partie de son poids dessus. L’aspérité se décrocha, aussi nettement que si elle avait été coupée au ciseau, et dévala la paroi de la montagne. Ki fouilla nerveusement de la main une autre fissure et s’accrocha, haletante, à la falaise. Elle savait qu’elle était proche. La corniche, faisant à peine plus qu’une bosse sur la paroi rocheuse, l’attirait aussi sûrement que le sang dans l’eau attire le requin. Elle regardait parfois par-dessus son épaule et apercevait à peine le sol de la vallée. Elle était partie aux premiers rayons de l’aube. Elle devait être tout près de son but. Elle était collée trop étroitement à la paroi pour lever les yeux. Le soleil tapait sur le sommet de sa tête. Il était monté dans le ciel plus vite que Ki n’avait grimpé la falaise. Le temps lui glissait entre les doigts, s’effritant comme la roche pourrie qu’elle escaladait.
Elle avait d’abord grimpé sans aucune prudence, s’élançant depuis ses appuis et tâtonnant à la recherche de prises qu’elle n’était pas certaine de trouver. La haine brûlait dans ses veines. Mais au fur et à mesure que la roche se faisait plus abrupte et plus glissante, les prises devenaient précaires et sa colère avait reflué pour n’être plus qu’une sensation vague et douloureuse de vide. A présent, elle se collait à plat contre la montagne, le visage appuyé sur la pierre chauffée par le soleil. Il n’y avait plus que la mort en elle, maintenant. Elle pouvait rester immobile pendant un moment, mais elle ne pouvait pas se reposer. Les bras levés pour se maintenir, elle n’osait pas inspirer trop profondément. Chacun des muscles tendus de son corps demandait avec force cris de se relâcher. Ki les ignora.
Elle frotta son pied gauche contre le schiste lisse et ses orteils finement chaussés cherchèrent la moindre aspérité où ils pourraient s’accrocher. Ils trouvèrent un petit rebord. Ki y posa délicatement ses orteils et transféra prudemment le poids de sa jambe. Il tenait bon. Elle fit porter plus de poids dessus, glissant son corps vers le haut. Sa poitrine et son ventre raclaient le schiste et les crampes de ses doigts devenaient presque insupportables. Tout son poids reposait maintenant sur ses doigts et les orteils de son pied gauches. Sa main droite était libre de ramper le long de la roche lisse, à la recherche d’une prise.
Ki cligna des yeux, essayant de les dégager de la poussière de pierre, de la sueur brûlante et d’une mèche de cheveux qui se collait à ses cils. Son front était écrasé contre la roche. Les muscles de sa main gauche étaient tellement contractés qu’elle ne sentait plus ses doigts. Sa main qui tâtonnait trouva une aspérité. Ses doigts, puis sa main entière prirent appui dessus. C’était une bonne prise, profonde. Ki prit une nouvelle inspiration, d’un souffle sifflant. Sa main droite était montée loin au-dessus de sa tête pour trouver cette prise.
Elle prit plus appui sur son pied gauche et fit porter une partie du poids sur sa main droite. À présent, sa main gauche était libre de parcourir la paroi rocheuse pour trouver une prise.
Ses doigts gauches se frayèrent maladroitement un chemin douloureux jusqu’à une aspérité située au même niveau que celle que sa main droite avait trouvée. Pour s’élever, Ki poussa sur ses orteils gauches, qui fatiguaient.
Soudain, sa cheville racla durement contre la pierre : son pied ne trouvait plus d’appui. La pierre s’était écroulée. Ki entendit les petits éclats et les débris qui frappaient contre la falaise en tombant. Son corps était en train de tomber : il allait dévaler, rebondissant contre la pierre, et des gerbes de sang jailliraient à chaque impact. Un sanglot lui saisit la gorge quand elle se rendit compte qu’elle était toujours accrochée à la falaise. Ses deux mains serraient le rebord, loin au-dessus de sa tête. Ses orteils droits étaient toujours enfoncés dans leur fissure. Son pied gauche chercha à tâtons un appui et trouva une minuscule avancée pour se poser.
Il lui fallut tout son courage pour tourner un peu la tête et regarder par-dessus son épaule. Il n’y avait rien à voir.
Aucune encoche vers laquelle décaler une main, aucune position plus sûre dans laquelle placer son corps. Seulement le schiste lisse et gris-noir. Elle était plaquée contre la falaise, les mains tout en haut, le corps étiré. Il n’y avait que deux possibilités : en haut ou en bas. Elle baissa les yeux pour scruter vers le bas. Elle sentit ses entrailles se serrer. Il ne restait plus que le haut. Elle ne s’arrêta pas pour réfléchir à son prochain geste. Elle prit l’inspiration la plus profonde que sa position lui autorisait et descendit un peu, suspendue à ses prises, puis elle lança son corps vers le haut en poussant d’un coup sur ses pieds.
Sa paume gauche gifla la pierre. Un spasme agita ses mains quand tout le poids de son corps se porta sur elles. Elle avait fait un progrès. Sa main gauche était à plat sur le sommet de la corniche. Sa main droite, son poignet et son avant-bras étaient tout à côté. La sueur salée coulait sur son ventre et sa poitrine écorchés. Ses jambes et ses pieds s’agitaient dans le vide.
Ki tira. Ses mains étirées ne trouvaient aucun endroit où s’accrocher, sur la corniche plate en pierre. Elles commençaient à glisser vers elle. La mince couche de poussière rocheuse et de petits morceaux de schiste qu’elles délogeaient lui arrosa le visage. Des brindilles se prirent dans ses cheveux, la poussière lui couvrit les yeux. Ki s’étrangla, luttant contre la toux qui montait. Quand la quinte fut passée, elle prit plusieurs courtes respirations dans ses poumons bien éprouvés. Ses muscles hurlaient de douleur pendant qu’elle se balançait dans le vide, la colonne vertébrale tordue à cause de ses prises inégales. Elle imagina des tendons qui cédaient, des os qui sortaient de leurs articulations. Ne pense pas à ça. Force ton corps meurtri et en sueur à se tendre et à se redresser. Elle appuya fortement sur ses mains, refusant de les laisser glisser davantage vers le bord. Son corps était pendu dans le vide, accroché à l’infime prise de ses mains. C’était impossible. Même si elle avait été fraîche et dispose, elle n’aurait pas pu soulever son poids de cette façon. Elle força ses muscles à essayer.
Son visage racla la pierre quand elle leva le menton. Maintenant, ses yeux étaient dirigés vers le haut, et plus vers la pierre grise et lisse. Elle contracta les muscles de son ventre, qui protestaient, de sorte que ses jambes pliées et ses pieds s’appuient doucement contre la paroi rocheuse. Elle était accrochée comme une araignée. Quand ses jambes eurent autant d’appuis qu’elle put en trouver, elle prit un souffle court et nerveux. Elle redressa ses jambes dans un mouvement de grenouille. La petite impulsion la projeta vers le haut. Elle posa les deux avant-bras à plat sur la corniche.
Elle se hissa avec les bras. Un spasme de douleur la lança dans le poignet gauche et lui courut jusqu’à l’épaule. C’était ce poignet qui avait brusquement soutenu tout le poids de son corps quand sa prise droite s’était effondrée, quelques instants auparavant. Avec ce nouvel effort, il envoya une protestation qui lui secoua la colonne vertébrale. Ki s’efforça de l’ignorer.
Son corps s’éleva. Ses yeux parvinrent au-dessus du niveau de ses coudes. Les yeux brûlants de sueur, elle aperçut la corniche. La pluie avait fait couler de la poussière et des cailloux sur le rebord. Le vent l’avait parsemée de petits morceaux de bois et de brindilles arrachés aux broussailles, plus haut dans la montagne. La corniche était jonchée de fragments de schiste noir usés jusqu’à former du sable. D’abord, Ki comprit que la corniche était assez grande pour pouvoir y reposer tout son corps. Puis ses yeux la virent en entier. Plus loin, dans un coin, se trouvait une zone abritée, avec un grand tas de brindilles et de branches. Derrière, une lourde tenture tissée s’agitait lentement dans le vent. Le flanc de la montagne la mettait à l’abri des bourrasques incessantes. De vieux os et des bouts de viande pourrie étaient éparpillés sur la corniche, près de la tapisserie. Ki sentit l’odeur de mort qui s’en dégageait.
Soudain, la force fut en elle. Dans un craquement d’épaules, elle se hissa, appuya son menton sur le bord puis souleva son corps, prenant appui sur sa cage thoracique. Elle haleta, puis fit monter le reste de son corps, raclant la pierre, sur la corniche. Pendant un instant terrible, son corps s’accrocha et elle ne put plus le tirer davantage. Elle sut ce qui la retenait. Le couteau de Sven, dans son fourreau en cuir repoussé, était attaché à sa ceinture. Le fourreau s’était coincé contre le bord de la corniche. Ki luttait, mais la masse de son corps était toujours dans le vide. Ses mains plaquées sur la roche ne trouvaient aucune prise. La panique lui donnait des ailes. Elle agita son corps dans un mouvement de phoque, écorchant ses cuisses quand elles atterrirent sur le bord de la falaise. Elle rampa en avant, et ses genoux et ses pieds se posèrent enfin sur la corniche. Elle était montée.
Ki roula sur le dos et s’immobilisa. Ses muscles tremblaient de soulagement. Le ciel bleu s’étendait au-dessus d’elle et l’œil blanc sans pitié du soleil l’observait. Mais le soleil était seul dans le ciel. Elle avait encore le temps.
Elle roula sur le ventre, tira son corps qui protestait pour s’accroupir, puis se leva. Elle jeta un coup d’œil autour d’elle, mais concentra rapidement son attention sur le sol devant elle. Être à une telle altitude lui serrait le ventre et lui tournait la tête. Seule une sensation glacée de victoire lui permettait de garder son calme. Elle passa son bras sur son front mouillé, remplaçant la sueur par de la poussière abrasive de schiste. Les battements de son cœur se firent plus réguliers.
La tenture en tissu faisait de petits claquements quand elle ondulait dans le vent. Ki la fixa, laissant la colère monter en elle. Elle attendit qu’elle la possède, qu’elle lui donne détermination et énergie.
— Comme tu as trouvé les miens, je trouverai les tiens, promit-elle.
Elle s’avança vers la tenture. Un objet solide roula sous son pied. Ki baissa les yeux. Un os, d’une teinte grise-brunâtre, avec des restes de muscles encore attachés. Ki serra les dents. Elle dépassa le nid cérémoniel, près de l’entrée, une tradition du peuple harpie. Cette partie de leurs coutumes était bien connue. Mais au-delà de la tenture, Ki allait s’aventurer dans un territoire dont aucun humain n’était jamais sorti vivant. Sa main descendit à tâtons pour s’assurer que le couteau était toujours accroché à sa taille. Le couteau de Sven, pas le sien. Son sang marquait toujours le fourreau. Elle renifla pour faire sortir l’odeur de charogne de ses narines. Discrètement, elle poussa la tenture sur le côté. L’intérieur de l’aire était plongé dans une semi-obscurité. Ki sentit son cœur qui martelait dans sa gorge et son pouls qui battait dans ses oreilles. Elle fit un pas à l’intérieur, laissant la tenture retomber derrière elle.
La tanière avait été taillée dans la falaise. Les marques des outils étaient toujours visibles dans la pierre. Une lampe à huile, dont la flamme minuscule vacillait sous les courants d’air provoqués par l’entrée de Ki, reposait dans une niche, dans un mur. D’autres niches et des étagères taillées dans le roc recelaient des objets divers : un carillon rassemblant des gongs en cuivre, une gravure en bois représentant une harpie en train de piquer, les serres tendues devant elle, un fatras de décorations en argent et en ivoire, des outils de tailleur de pierre, et différents autres objets, trop différents de ce que Ki connaissait pour qu’elle puisse les identifier. Elle déambula devant toutes ces choses. Dans un coin de la pièce, tout près, un léger renfoncement dans la roche contenait un lit de paille recouvert d’épaisses tentures et de fourrures somptueuses. Vide. Ki détourna le regard de cet endroit. Elle ne cherchait pas à piller, ni un lieu pour se reposer. Elle prit la petite lampe de sa niche et tira davantage la mèche hors de l’huile pour que la flamme brûle plus fort et projette plus de lumière. Elle s’avança sur le sol de pierre irrégulier. Il était méticuleusement propre ; aucun os ou bout de viande n’était répandu ici. C’était l’antre de créatures civilisées, intelligentes. Ki serra les dents et s’accrocha à son sombre projet aussi fort qu’elle s’accrochait au manche du couteau de Sven. Elle passa devant un métier à tisser avec une tapisserie à moitié finie dessus. Quand elle serait achevée, elle représenterait des harpies s’accouplant en plein vol. Derrière le métier à tisser se trouvait un rideau d’un bleu profond, avec des étoiles estivales peintes en blanc. De l’autre côté du rideau, il y avait ce que Ki cherchait.
Le second renfoncement dans la roche était plus grand que le premier. La paille qui le remplissait était jaune et sentait les champs fraîchement fauchés. Les tentures qui couvraient la paille étaient peintes de différentes teintes de bleus. Une seule fourrure, celle d’une grande créature blanche, était étalée sur les tentures. Ki en souleva un coin ; elle sentait le poids de la peau épaisse, la douceur de la fourrure blanche. Une pensée traversa son esprit – quelle créature avait porté cette peau ? Elle écarta cette question. Elle était venue avec une quête à accomplir. Son poing se referma sur le coin de la fourrure. D’un mouvement sec à se déboîter les épaules, elle arracha la peau du lit. Elle poussa un sifflement de satisfaction.
Trois œufs. Chacun était assez grand pour occuper les bras de Ki et assez lourd pour être difficile à porter. Les coquilles des œufs étaient d’un marron foncé tacheté. Des couvertures bleues individuelles enveloppaient chaque œuf, le protégeant de tout contact avec les autres. Leurs coquilles étaient devenues membraneuses à l’approche de l’éclosion. Elles tomberaient sans doute en morceaux si Ki les frappait du poing. Mais elle tira lentement le couteau de Sven de son fourreau. Elle s’approcha des œufs et posa un genou sur leur matelas de tissus et de paille. Il s’enfonça doucement sous son poids. Un œuf roula d’un quart de tour vers elle.
Quelque chose frôla la tête de Ki. À ce contact, elle sursauta. Elle leva les yeux, soulevant la lampe pour avoir plus de lumière. Pendillant et s’agitant à cause de son mouvement, les formes en bois, peintes de couleurs vives, se balançaient au bout des minces fils attachés à l’armature en bois. De minuscules harpies, minutieusement gravées et peintes, tournoyaient comme une volée miniature au-dessus de la tête de Ki. Elles tournaient encore et encore, comme des oiseaux venant se nourrir. Leurs ailes de couleur bigarrée étaient étendues ; leur bouche insignifiante, en bec de tortue, était sculptée ouvertes, comme si elles piaillaient et sifflaient de joie. Leurs yeux avaient reçu une touche de dorure qui leur donnait la couleur d’or caractéristique des yeux liquides des harpies. Ki les regarda pendiller et tourner. C’était un jouet d’enfant.
L’impact de cette idée la fit trembler. Un jouet d’enfant, comme une marionnette ou un petit cheval de bois avec des roues aux pieds. Un jouet pour un être pensant qui grandissait. Ki regarda le couteau de Sven, dans sa main, et les œufs dans leur lit. L’œuf le plus proche fut parcouru par une soudaine pulsation de vie, puis il redevint immobile. Comme un coup de pied de bébé.
Sa haine l’abandonna à une vitesse étourdissante. Elle tenta vainement de retrouver la logique de sa vengeance, la colère qui l’avait portée. Le couteau tomba sur le sol. Un brusque dégoût de ce qu’elle avait prévu de faire monta en elle, jaillissant en gerbe de sa bouche jusqu’au sol. L’amertume de la bile, dans sa bouche, était l’amertume de sa haine envers les harpies. Elle ne pouvait vider son corps d’aucune des deux. Elle ne pouvait pas non plus aller au bout de la vengeance qu’elle était venue exercer. Une autre gerbe de liquide aigre jaillit de son nez et de sa bouche quand l’esprit de la vengeance qu’elle portait en elle déchira l’esprit de justice qui se trouvait là également. Ki resta immobile, pantelante, et tout son corps tremblait du conflit qui se livrait en elle. Sa compassion était une faiblesse méprisable ; sa vengeance, une lâche injustice. Les œufs étaient devant elle ; le couteau, sur le sol. Il suffirait d’un instant pour ouvrir les coquilles comme l’écorce d’un fruit pourri au soleil. Les fœtus des harpies surgiraient dans un écoulement amniotique. Leurs petites ailes translucides ne deviendraient jamais amples et solides comme le cuir. Leurs visages muets et fermés ne deviendraient jamais vifs, cupides et narquois. Les serres de rapace ne déchireraient jamais de chair, les petits bras resteraient à jamais pliés contre leur poitrine encore inachevée.
Elle se baissa pour ramasser le couteau. Elle verrait ces visages fœtaux, ces becs de tortue qui dessinaient un sourire imbécile. Elle regarderait au fond de ces yeux couverts d’une membrane nictitante, des yeux maléfiques porteurs du masque trouble de l’innocence. Des innocents. La lame levée redescendit lentement vers la taille de Ki. Elle secoua la tête, des larmes de rage lui brûlant les yeux. Ce dernier mois, elle avait vécu d’un rêve de vengeance : elle avait trouvé son goût dans la nourriture, elle s’était reposée sur son soutien comme sur un oreiller. Il était là, juste devant elle, ce geste qui mettrait un terme à son chagrin et sa colère. Elle ne pouvait pas le faire.
Un rectangle de lumière s’abattit sur la tanière, effaçant la lampe de Ki. Avec lassitude, Ki tourna la tête vers la silhouette sur le seuil. C’était le mâle. Son plumage turquoise scintillait sous les rayons du soleil, dans son dos. Sa grande carrure emplissait l’entrée, réduisant Ki à la taille d’un petit enfant, en comparaison. Ses yeux dorés tourbillonnants se fixèrent sur elle quand elle se mit debout devant sa progéniture, le couteau à la main. Les yeux verts de Ki, eux, luisaient d’une joie malsaine. Voilà, enfin, une tâche qu’elle pouvait accomplir. Le couteau se tourna, pointe vers la harpie. C’était un monstre, un assassin, un voleur d’enfants, un animal qu’il fallait tuer, et pas l’être intelligent que cette tanière voulait lui faire croire qu’il était. Elle n’avança pas vers lui, mais resta immobile, en attente.
Depuis les airs, il aurait pu piquer sur elle, les serres tendues pour blesser, pour jeter son corps contre le sol et dévorer sa chair, comme un lapin. Mais ils étaient tous les deux au sol à présent, dans un antre qui les couvrait de tonnes de pierre. Ce n’était pas une créature faite pour charger un ennemi sur terre – mais elle le fit. Ses longues pattes d’oiseau s’activèrent comme des pistons quand il fonça vers elle, poussant un sifflement de colère qui emplit la grotte. Ses bras, pas plus gros que les bras de Ki, se tendirent vers elle pour la saisir. Mais ce fut un battement de ses grandes ailes épaisses qui lui arracha le couteau des mains et la fit tomber à genoux. La lampe, avec sa mèche enflammée et sa réserve d’huile, fut projetée hors de sa main.
Les coups de fouet du plumage sur ses yeux aveuglèrent Ki. Elle rampa sur le sol, tâtonnant à la recherche de l’arme qu’il lui avait arrachée des mains. Le sol était dur et froid sous ses doigts, et la lame qu’elle cherchait n’était nulle part. Elle entendit son rire, qui résonna loin au-dessus d’elle -le rire maléfique qui avait traversé ses cauchemars pendant trop longtemps. Elle se mit elle aussi à hurler, explosant dans un son d’agonie et de haine. Le cri grave et perçant d’une harpie mâle enragée répondit au sien. Ki sanglota, et se releva sans arme, déterminée à être au moins debout quand elle lui ferait face.
Elle fut de nouveau projetée au sol par son élan quand il la dépassa à toute vitesse. Elle tomba violemment sur son épaule et sa hanche. Une douleur lui transperça la hanche, plus vive que le choc contre son épaule. Elle venait de frapper le manche du couteau. Elle roula sur le sol, posant la main sur l’arme, et se remit debout pour affronter la prochaine attaque.
Elle ne vint pas. Quand ses yeux brûlants purent voir, elle aperçut la lueur de flammes jaunes qui illuminait tout le fond de la grotte. La lampe, en tombant, avait répandu son huile sur la paille et les tentures du nid des œufs. La mèche allumée avait tout enflammé. Le feu crépitait et grondait, la paille sèche étant prompte à s’embraser. Une flamme s’étendit, venant lécher le rideau étoilé puis sautant jusqu’à la tapisserie inachevée, encore sur son cadre. Au milieu du nid brûlant, la harpie mâle se dressait comme un démon cauchemardesque surgi de l’enfer. Ses petits bras serraient un œuf contre sa poitrine. Les flammes rugissaient autour de lui et les membranes épaisses de ses ailes se racornirent et noircirent en dégageant une horrible puanteur. Il poussait des râles de haine et d’agonie, mais le son de sa douleur ne pouvait pas couvrir les bruits secs et sourds qui retentirent quand les deux autres œufs explosèrent à ses pieds. Il y eut une espèce de sifflement quand le liquide amniotique étouffa temporairement les flammes autour d’eux, puis une fumée atroce s’éleva quand les flammes firent bouillir le liquide. Ki recula devant cette scène, les bras levés pour protéger ses yeux de cette image et son nez de la puanteur. Elle trébucha sur le sol irrégulier, puis fut brusquement saisie par-derrière. Elle se sentit enveloppée dans un plumage qui s’avéra n’être que la tenture du seuil, quand elle s’efforça de se dégager. La tenture tomba au sol pendant qu’elle sortait en chancelant, clignant des yeux dans la lueur du jour, sur la corniche. Elle regarda autour d’elle, incapable de comprendre. Jamais elle n’avait pris le temps de se demander comment elle s’échapperait de cette altitude quand elle aurait accompli sa vengeance. Maintenant que le destin le lui avait arraché, il lui avait laissé un problème : elle n’était pas morte.
Un sifflement strident trahit un point qui volait dans le ciel. Ki se baissa instinctivement, s’accroupissant pour échapper à la fureur imminente. Le point devint un oiseau, un aigle, puis finalement la silhouette caractéristique d’une harpie en train de piquer. Le plumage et la peau bleu-vert luisaient contre le ciel bleu plus pâle. Sa crête, comme une chevelure, laissait une longue traînée turquoise derrière elle. Elle plongea sur Ki comme une flèche lancée depuis le soleil.
La corniche n’offrait aucun abri à Ki, aucun lieu pour se cacher, pas même une niche pour prendre appui et se défendre. Elle saisit son couteau à deux mains, le leva bien haut, droit au-dessus de sa tête. Elle n’avait aucun doute sur le fait que les serres plongeantes la tueraient du premier coup. Ki espérait seulement qu’elle pourrait sentir le métal de sa lame s’enfoncer dans la chair de la harpie avant qu’elle ne meure.
La harpie changea de direction. Son sifflement de colère se changea en un cri déchirant, si humain que Ki y répondit à l’identique. La harpie ouvrit grand ses ailes bleues, les faisant battre désespérément pour briser l’élan de son piqué. Elle avait oublié Ki. Les petits bras faméliques de la harpie étaient maintenant tendus vers la mince silhouette qui sortait de l’embouchure de la grotte en chancelant sur ses longues pattes. Le mâle étendit ses ailes, montrant son plumage calciné qui tombait en fumant sur la corniche. Son insignifiant bec de tortue était grand ouvert, cherchant le moindre souffle d’air pur. Ses yeux étaient couverts par une membrane protectrice blanche. Quand Ki poussa un cri d’horreur étranglé, il tomba à genoux et roula au sol, serrant toujours l’œuf membraneux contre sa poitrine d’oiseau. Alors que Ki continuait à regarder, ses bras furent pris de spasmes et l’œuf tomba, se déchirant sur la corniche. Le fœtus abîmé apparut, poussé par la vague qui aurait dû être sa naissance. Sous les yeux de Ki, le corps minuscule gigota, s’agita dans le liquide de l’œuf, puis s’immobilisa.
La harpie femelle se posa sur la corniche, ventilant Ki de ses ailes déployées. Ses yeux dorés allèrent de l’œuf perdu au corps immobile et fumant de son compagnon. Une fumée sombre et puante sortait de la tanière grande ouverte.
Ses ailes membraneuses étaient toujours à demi déployées quand elle pivota vers Ki.
— Morts ! Tous morts !
Les mots qu’elle gémissait révélaient une immensité de perte et de désespoir.
Comme les miens ! hurla Ki en réponse.
Son propre chagrin et son agonie rejaillirent en elle, renouvelés, comme une blessure infectée qui se ferme pour mieux se rouvrir et saigner de nouveau. La harpie s’élança vers elle, Ki fonça à sa rencontre.
Ki fut à l’intérieur du périmètre des larges ailes avant de pouvoir être assommée par un de leurs coups. Le haut de la tête de Ki n’arrivait même pas au niveau du plexus de la harpie. Ki remercia les divinités sans nom du destin qui lui avaient permis d’affronter cette créature sur la corniche, au lieu de recevoir tout le poids de ce corps dans l’attaque meurtrière de ses serres.
Les bras malingres de la harpie et ses mains noueuses surgirent pour saisir les cheveux de Ki et l’attirèrent près d’elle. Le bec de tortue était largement ouvert au-dessus de sa tête et le souffle de son haleine fétide enveloppa Ki. La femme vit un unique pied muni de serres commencer à se lever pour lui déchirer les entrailles. Ki ne résista pas aux forces de la harpie, qui la tira contre sa poitrine emplumée. Au lieu de cela, elle cogna sa tête contre elle en faisant appel à toute sa volonté. La main gauche de Ki saisit le poignet droit de la harpie avec l’énergie du désespoir. Puis elle bondit pour entourer ses jambes d’un seul coup autour de la taille de la harpie, blottissant son corps hors de portée des serres assassines. La main droite de Ki, tenant le couteau, se leva et frappa. La harpie vacilla sous le double impact du poids de Ki et du coup de couteau. La lame glissa sur les côtes de la harpie avant de s’enfoncer finalement dans son abdomen solide. Ki s’accrochait au manche du couteau, enfonçant son menton contre sa poitrine pour éviter les coups de bec de la harpie. Ki appuya sur la lame du couteau avec toute la force de sa haine. Les grandes ailes, agitées par la colère, battaient contre elle, mais Ki restait tapie sur le long ventre de la harpie, l’enlaçant aussi fort qu’un amant.
Les larges ailes battirent plus fort. Ki se sentit tirée vers le haut. Elle serra fort ses jambes autour du corps de la harpie, refusant de se laisser déloger, et de voir sa vie s’écraser sur les rochers en contrebas – car maintenant, la corniche avait disparu. Elles s’élevèrent, puis tombèrent soudain en chandelle. Les mains serrées dans les cheveux de Ki lui cognaient la tête. Elle perdit tout sens de l’orientation, il n’y avait plus ni haut ni bas. Le ciel défilait autour d’elle, révélé puis dissimulé par le battement des ailes. Ki enfonça son visage contre le corps de la harpie, tentant d’éviter les doigts qui cherchaient ses yeux. Ki ne pouvait pas dire si elles montaient ou plongeaient. Elle enfonça ses propres ongles dans le cuir et les os du poignet de la harpie. Celle-ci envoya sa main libre labourer le visage de Ki.
La jeune femme relâcha la prise d’une jambe et lança son genou, d’un coup sec, dans le ventre dur de la harpie. Le rythme des ailes s’interrompit.
Ki replaça sa jambe autour de la harpie. Elle dégagea son couteau de la créature, leva le bras et enfonça la lame jusqu’à la garde dans la poitrine de la harpie.
Un cri trop humain. La maîtrise du vol s’évanouit. Les grandes ailes battaient et s’agitaient dans le ciel de façon erratique, ne contrôlant plus la vitesse de leur chute soudaine. Ki et la harpie tournoyèrent ensemble, unies dans cette catastrophe. La femme hurla pour marquer son triomphe et sa terreur ultimes. La harpie restait silencieuse : elle était peut-être déjà morte et ses battements d’ailes n’étaient sans doute que des spasmes posthumes. Le ciel et la falaise tournoyaient sans fin autour d’elles. Le bout d’une aile vint frôler la paroi rocheuse, les faisant se balancer et freinant, pendant un instant, leur chute. Ki sentit le goût du sang chaud de la harpie quand il vint éclabousser son visage. Elle serra encore un peu plus le cadavre qui dégringolait.
Soudain, de solides branches d’arbres surgirent et les saisirent, les séparant violemment l’une de l’autre.
Ki ouvrit les yeux. C’était le soir. Elle observa paresseusement ses pieds et ses jambes là où ils étaient, plus haut que sa tête, dans un buisson noueux. Des branches brisées, au-dessus, lui indiquaient le passage de sa chute et laissaient passer les derniers rayons de la journée. Ki resta allongée, sans bouger, observant la lune qui commençait sa course nocturne. Les Romni disaient que la lune voyait tout ce qu’il y avait à voir, et s’en souvenait. Elle lui adressa un sourire un peu bête. La lune n’aurait plus besoin de l’épier. Elle était finie. La Lune avait vu tout ce que Ki ferait jamais. Elle ne pouvait rien imaginer d’autre dans sa vie. Elle ferma les yeux.
Quand elle les rouvrit, la lune était plus haute et semblait la regarder avec curiosité à travers les branches cassées. Son corps voulait boire. Ki, elle-même, se sentait au-dessus de tels besoins, coupée d’eux. Mais son corps ne voulait pas partir. Elle écouta pendant longtemps les plaintes tenaces de sa bouche et de sa gorge sèches. Puis elle finit par bouger. Elle dégagea ses jambes du buisson pour les descendre au sol. Son bras gauche semblait absent. Ki le chercha et découvrit qu’il était toujours attaché au reste de son corps. Elle saisit sa main et la ramassa pour la poser doucement entre ses seins. Elle la blottit là. Doucement, elle roula sur son épaule droite. Elle s’attendait à ressentir une douleur perçante dans son bras démis, mais il resta muet et gourd. Les yeux morts de la harpie fixaient ceux de Ki.
Elle était à peine à portée de main. Morte, elle n’était plus qu’une chose brisée, un cerf-volant en papier et en bois écrasé par une bourrasque de vent. Ki plongea son regard dans les yeux dorés détruits, qui avaient pris une teinte brune putrescente dans la mort. C’était un regard froid. Elle était heureuse qu’elles se soient battues, heureuse d’avoir eu une chance de blesser cette chair et répandre son sang. Elle se demandait si la harpie pourrait se souvenir de son agonie en enfer. Un sourire féroce se dessina sur le visage de Ki. Elle se mit sur ses genoux et força son corps traumatisé à se lever. Pour l’instant, elle avait décidé de vivre.
Ki étudia les étoiles qui constellaient le ciel nocturne. Elles étaient tombées loin de l’endroit où elle avait entamé son ascension, encore plus loin de l’endroit où Ki avait caché sa roulotte et son attelage. Elle s’orienta, balaya les cheveux et le sang séché de ses yeux, et partit dans la forêt en boitant.
L’aube grise avait commencé à teinter le ciel et à rendre leur couleur aux feuilles quand Ki entendit les ébrouements de bienvenue de son attelage. Ils l’avaient sentie. Elle voulait les appeler, mais sa gorge était trop sèche. Elle s’avança vers les bruits en boitillant.
La roulotte était au milieu d’une petite clairière. Les chevaux, sans harnachement, levèrent la tête pour l’observer avec curiosité. Sigurd s’ébroua avec méfiance en sentant l’odeur de la harpie et s’éloigna hors de portée de Ki. Le docile Sigmund la regarda calmement approcher en boitant. Ki le dépassa maladroitement, le voyant devenir soudain timide quand il perçut l’odeur de sang sur elle. Elle alla jusqu’à la barrique d’eau accrochée sur le côté de la roulotte. Elle ouvrit le robinet et laissa couler l’eau sans souci d’économie pour s’asperger les mains, le visage et la tête, puis elle but d’avides gorgées. La fraîcheur de l’eau réveilla son épaule et elle commença à irradier d’une douleur pulsative qui la submergeait d’éclairs rouge vif. Ki se força à tendre le bras et fermer le robinet. Elle s’affala dans la flaque boueuse que l’eau avait faite à côté de la roulotte.
Son épaule avait commencé à enfler, son pourpoint la serrait. Il lui fallait trouver de l’aide tant qu’elle en était encore capable. Elle escalada péniblement la grande roue jaune de la roulotte pour monter sur le banc du conducteur. Derrière le banc se dressait la petite cabine fermée qui délimitait la partie habitation de la roulotte. Elle détacha une petite cheville en bois de la boucle de cuir et fit coulisser la petite porte, qui s’ouvrit. Elle entra en titubant, faisant bien attention de ne pas laisser son épaule frôler l’encadrement de la porte étroite. Elle ne parvenait pas à rassembler ses forces pour bondir dans la mezzanine, qui servait de lit. Les couvertures pliées, empilées sur le matelas bourré de paille, semblaient l’appeler, mais elle ne pouvait pas encore se reposer. Les murs de la cabine encombrée étaient couverts de placards et d’étagères, de crochets et de patères. Ki ouvrit un tiroir et en tira les restes rapiécés d’une vieille jupe. De sa main valide et ses dents, elle en déchira un morceau et l’attacha de façon à maintenir son bras. Puis elle décrocha une saucisse d’un fil qui pendait à un crochet dans le plafond bas. Ses dents mordirent dans la viande coriace et épicée. Son estomac se réveilla, gargouillant, pour lui rappeler qu’un jour et une nuit complets s’étaient écoulés depuis la dernière fois qu’elle avait mangé. Ses mâchoires et son visage meurtri lui firent mal pendant qu’elle mâchait. Elle se souvint des griffes de la harpie, descendant sur le côté de son visage. Ki déglutit et prit une autre bouchée.
Une petite lucarne laissait entrer la lumière grise du matin, mais Ki n’avait pas besoin de lumière pour voir. Elle connaissait les détails de la roulotte par cœur. La deuxième tunique de Sven était toujours accrochée sur sa patère. La marionnette en bois peint, avec ses fils emmêlés par les doigts jeunes et malhabiles de Lars, était posée sur une étagère. Un cheval-jouet, sortant à moitié d’un bloc de bois brut, se dressait sur une autre étagère, avec les outils de sculpteur de Sven à côté. Il ne taillerait jamais les jambes, à présent. Involontairement, l’esprit de Ki pensa à Sven près du feu, à ses grandes mains œuvrant délicatement pour faire surgir le cheval du bois. La petite Rissa serait blottie contre lui, sa tête blonde et bouclée posée sur son flanc et son petit nez presque sur le couteau qui se déplaçait prudemment.
Ki sortit de la cabine, poussant un grognement quand elle fit descendre son corps jusqu’au sol. Elle ramassa le harnais épais d’une main, l’agitant doucement. Les grands hongres gris s’approchèrent, obéissants et intrigués par sa voix râpeuse. Elle les conduisit à leur place par de petites poussées et des ordres implorants. Elle installa maladroitement chaque lanière et chaque boucle avec une seule main et ses dents. Personne ne s’occupant de l’autre côté de l’attelage, elle dut faire le tour pour serrer les lanières elle-même.
Elle remonta sur le banc et rassembla les rênes. D’un coup de pied, elle libéra le frein. Personne n’escalada hâtivement la roue pour venir s’installer à côté d’elle. L’air du matin cinglait froidement, là où un petit corps aurait pu se tapir contre elle. Ki lança un dernier regard fatigué vers le ciel. Limpide et bleu. Elle avait libéré le ciel de toute aile. Elle haussa les épaules et secoua les rênes. Les muscles tendus, les chevaux pommelés tirèrent sur le harnachement. Ki voyageait seule.